Quelle serait votre réaction si vous appreniez que votre appartement, votre maison ou la ville entière dans laquelle vous habitez était susceptible de s’effondrer au moindre moment…
C’est hélas le quotidien des 150 000 habitants de Berezniki, petite ville industrielle du nord de l’Oural se trouvant à plus de 1200 kilomètres à l’est de Moscou.
Histoire d’un drame écologique sans précédent
La ville de Berezniki fut fondée en 1873 mais c’est à partir des années 1930 que cette ville se développe rapidement grâce à l’exploitation des ressources qui se trouvent dans son sol qui y abrite un véritable trésor.
Berezniki et sa région possèdent environ un tiers des réserves mondiales de potasse, un minerai salin, rougeâtre, très convoité pour la fabrication d’engrais. Les mines de Berezniki furent extrêmement exploitées sous l’Union Soviétique par les prisonniers du Goulag dans un premier temps. Mais l’intérêt économique et stratégique entraina une importante croissance urbaine et la création d’un centre industriel majeur de la région Oural. Cette exploitation a permis un développement prospère de la ville jusqu’à la chute de l’Union Soviétique.
Hélas, la surexploitation minière des sols a créé des dizaines de kilomètres de galeries parcourant entièrement les sous-sols de la ville à 450 mètres de profondeur.
En pleine Perestroïka, des incidents émaillent l’exploitation des mines de Berezniki dûs aux manquements dans la sécurité, à la mauvaise gestion et à l’interférence de la mafia locale etc…
En 1986, les premiers signes d’affaissement des sols apparaissent dans certains quartiers de la ville. La disparition de l’Union Soviétique et l’entrée de la Russie dans l’économie de marché entrainèrent de nombreux changements de propriétaires. L’exploitation de la mine passa aux mains d’oligarques peu scrupuleux sur la sécurité et l’entretien des centaines de kilomètres de tunnels parcourant la ville de Berezniki.
La situation de la mine est devenue plus que critique en 2006 quand des inondations sont apparues et que des infiltrations d’eau ont gagné les galeries de la mine entrainant la dissolution progressive de ses parois et de ses piliers très riches en sel.
« Imaginez un morceau de sucre dans une tasse de thé »
confira Mikhail Permyakov, expert d’Uralkali, dans un entretien accordé au New York Times en 2012.
Sentant le vent tourner, le propriétaire de l’époque, un oligarque devenu milliardaire grâce à l’exploitation de la mine s’enfuit in extremis de Russie pour se réfugier en Suisse avec toute sa fortune. Les habitants de Berezniki furent livrés à eux-mêmes et restèrent démunis face à l’effondrement de la ville entière.
Suite à cet incident, la ville de Berezniki vit apparaitre dans son centre-ville des trous gigantesques de plusieurs centaines de mètres de profondeur, cette situation catastrophique entraina l’évacuation de plusieurs milliers de personnes.
En 2007, l’apparition de nouveaux trous firent encore leurs apparitions avec plusieurs explosions de méthane entrainant la mort de plusieurs habitants.
Depuis, ces trous ne cessent de croitre et les incidents se multiplier. Les plus gros atteignent désormais 400 m de long pour 300 m de large et 230 m de profondeur indique le Sibérien Times. L’équivalent d’un immeuble de 50 étages !
En 2012, un ouvrier sécurisant l’un des gouffres a disparu dans le cratère. Le dernier gouffre apparu, en février 2015, a quadruplé de volume en trois mois seulement.
Je me suis rendu à Berezniki en janvier 2022 pour observer la réalité de la situation. Une grande partie des quartiers touchés par l’affaissement des sols est désormais strictement fermée au public. Il me fut impossible de photographier l’intérieur de la zone.
Lors de la dernière visite de Vladimir Poutine dans cette ville , les autorités lui ont affirmés que la situation était sous contrôle…
L’Affaissement des sols : un constat mondial
La ville de Berezniki étant unique par l’ampleur des effondrements de ses sols n’en est pas moins semblable à d’autres villes et régions du monde subissant la surexploitation de leurs sols. Citons par exemple la destruction de la mine de Holle au Congo en 1977, lorsqu’une inondation s’accompagna de trois effondrements. Le plus important engendra un gouffre de 150 m de diamètre et 20 m de profondeur.
En 1980, un sondage pétrolier dans le lac Peigneur en Louisiane atteignit les galeries de la mine située en sous-sol. En quelques heures, le lac se vida par ce trou devenu rapidement gigantesque entrainant un énorme tourbillon. Un cratère d’effondrement apparut au fond du lac asséché.
Cette situation d’affaissement des sols certes moins spectaculaire que Berezniki touche hélas de plus en plus de territoires ou de villes. Les pompages excessifs des nappes souterraines, le poids des constructions, la sécheresse… Partout dans le monde, des villes entières s’enfoncent dans le sol à une vitesse vertigineuse.
Citons le cas de Venise avec son sol composé de boue et de vase qui s’enlise chaque jour un peu plus. On constate par endroits un enfoncement de 0,8 à 10 mm par an. Ou encore, Téhéran, où le sol de la capitale iranienne s’affaisse de 25 cm chaque année.
Berezniki incarne parfaitement le problème auquel des centaines de milliers de personnes dans le monde seront confrontées au cours des prochaines décennies.
Je dédie cet article aux habitants de cette ville
Par Pierre Lanoë